Il parait que l’amour est aveugle.
C’était vrai ce soir-là, 20 mai dernier, lorsqu’une cinquantaine de personnes ont répondu présent à une expérience hors du quotidien pour elles : dîner dans le noir.
Ce sera vrai aussi le 2 décembre prochain, pour tous ceux qui se seront donné rendez-vous là-bas.
Concocté de main de maître !
Organisée par l’association « les tisseurs de liens », réunissant les bannières des Chiens guides d’aveugles, et de l’association Valentin Haüy, cette soirée pas comme les autres, le 20 mai dernier, n’aurait pu se réaliser sans la complicité généreuse de l’hôtel-restaurant Le Normandie, à Evreux (27) qui a accepté de jouer le jeu.
Accueillis par un comité bienveillant, nous voici rapidement équipés de bandeaux noirs, et guidés de la main et de la voix jusqu’à l’intérieur de la salle de restaurant. « attention, il y a une petite marche. … voilà, vous arrivez à votre table, donnez-moi votre main, je la pose sur le dossier de votre chaise. Voilà… Tout va bien ? Bon appétit ! »
Nous sommes assis, et nous entendons d’autres convives arriver, guidés comme nous l’avons été. Ils s’asseyent ici ou là dans la salle, leurs voix et leurs rires nous viennent de plus ou moins loin, sur le côté… Enfin, des voix plus proches nous signalent que notre table se remplit à son tour.
Qui est là ?
Nous voici bientôt huit convives autour de la table, dont deux amis dont nous reconnaissons aisément les voix. Les autres nous sont inconnus. Jeu de questions réponses qui s’enchaînent, et nous saurons plus tard, quand il sera temps d’enlever le bandeau, pourquoi Evelyne éclate de rire quand Jean-Marc nous dit qu’il a 27 ans : à la lumière, il les a bien deux fois plutôt qu’une. Le noir autorise tout…
On fait comment ?!
Le repas est servi. Apprendre à manger comme un aveugle est obligé de le faire, voilà un challenge qui réussit ici à être ludique. Mettre le doigt dans son verre pour ne pas le remplir par-dessus bord, tâter délicatement la nappe du bout de la main, de proche en proche, pour chercher la corbeille à pain sans renverser la bouteille de vin, autant de gestes qui deviennent, le temps d’un repas, de plus en plus aisés. Nous nous en sortons bien : la nappe sera indemne, et le bruit du verre cassé vient de plus loin dans la salle…
Quant à savoir quand l’assiette est vide, si on n’a rien oublié dedans, et comment mettre en bouche une fourchette dont le contenu n’aura pas déjà dégringolé avant qu’il n’arrive à destination, ce sont des challenges de chaque instant. Le service est assuré avec gentillesse, il y a toujours quelqu’un de disponible pour ne pas ajouter un quelconque stress à l’expérience que nous vivons avec conviction.
Pourquoi faire ça ?
Une soirée épatante, ludique et sérieuse à la fois. Sans trop d’enjeu pour nous qui allons recouvrer la vue après le dessert, nous voilà immergés en même temps dans une approche sensorielle unique du handicap visuel, qui nous rapproche d’un univers qu’on ne connait pas.
Et là est l’Amour : L’amour aveugle prend place dans cette acceptation inconditionnelle de l’expérience, une main tendue dans le noir vers ceux qui y vivent leur quotidien.
C’est en vivant cette expérience hors du commun que l’on rencontre l’Autre, à travers les ressentis les plus profonds qui naissent en nous. Se faire face à soi-même en situation de handicap nous rend le handicap plus proche et nous rend plus humain. C’est une rencontre gagnante du cœur et du corps !
Les organisateurs nous donnent enfin force détails sur l’organisation de l’apprentissage des chiots qui deviendront les yeux de leur maîtres aveugles, capable de les conduire à bon port, s’arrêtant au bord du trottoir lorsque le feu est rouge, sachant éviter les obstacles que leur maître mal ou non voyant ne pourrait passer en sécurité.
La semaine du handicap 2016
Non, vous n’avez rien perdu si vous n’êtes pas venu en mai : les tisseurs de liens proposent à nouveau une soirée repas dans le noir à Evreux. Ce sera le vendredi 2 décembre.
Infos et réservations au 06 89 23 35 61 ou lestisseursdelien27@gmail.com