Il fait couler beaucoup d’encre, parce qu’il fait couler beaucoup de monde, toutes professions confondues, « corps en vrac et cerveau en miettes », comme le décrit Anne Vidalie dans cet article qui cite leurs mots explicites : « impossible/ fuir/errer/panique/mourir/foutu/être assailli/s’enfoncer/dalle de béton qui tombe sur la tête/détresse » : une liste douloureuse.
Les éléments que je vois dans l’article d’Anne Vidalie, comme dans celui de l’Express –entreprise qui évoque plus largement le stress en entreprise, m’interpellent grandement sur l’origine de ce « BO ». Eh oui, « BO » pour Burn-Out! Car quand on commence à accepter l’existence d’un fléau dont on a honte, on va aussitôt le minimiser en changeant un nom trop voyant en un autre plus discret : les « sans toit » sont tous des SDF, le Burn-Out devient le BO.
Mon expérience dans le traitement du Burn-Out
Nos références citées en bas de page évoquent comme cause, le stress dû au travail, et dû au management qui « ne sait pas gérer les individus et leurs émotions au travail, une faiblesse spécifiquement française », sans passer sous silence la manière de manager et le sens donné.
Voilà des années que je reçois en consultations des personnes qui se sont installées au cœur de la réalité ces mots/maux : « impossible/ fuir/errer/panique/mourir/foutu/être assailli/s’enfoncer/dalle de béton qui tombe sur la tête/détresse » … Parfois à titre « perso »[1] et, le plus souvent, en parlant d’un ensemble de situations dont le travail fait la part majeure, alors assortie d’un arrêt de travail reconduit de semaines en semaines, avec incapacité d’ « y retourner ».
Tout manque de goût et de sens, la vie elle-même n’en a plus. Alors ils deviennent des salariés activement désengagés comme les appelle Isaac Getz, professeur et conférencier international dans ce TED Talk.
Voilà des années qu’en tant que thérapeute je suis consciente de la souffrance qu’il y a dans les vies qui s’effilochent, et j’observe tous les moyens que notre inconscient arrive à mettre en place pour nous sauver de cela : « l’incapacité d’y retourner » en fait partie : l’évitement du pire, qui ne trouverait pas cela vital et intelligent ?
Voilà des années qu’en tant que thérapeute je me focalise sur l’avenir positif pour sortir du passé douloureux, ce qui est le mode de la thérapie comportementale et cognitive (TCC).
Et pour cela, l’outil majeur, pour ne pas dire l’outil magique, c’est la valeur qu’il y a à être « acteur de sa vie ». On pourrait dire simplement « se sentir vivant », être engagé positivement dans chacune des minutes de sa vie. Se sentir responsable et heureux de s’impliquer dans la réussite autrement dit : développer l’enthousiasme, en tant que réponse définitive aux problèmes de vie quotidienne
Parce que « enthousiasme » est un mot dont l’origine grecque nous parle d’une force divine à l’intérieur. Un Feu divin qui brûle dedans et nous rend invincible. A tout. Y compris au BO ?
Si je regarde les mots « burn » et « out », ils parlent d’être brûlé, et dehors. Ce ne sont même plus un corps en vrac et un cerveau en miettes, mais simplement des cendres et rien d’autre.
Burn-Out : « brûlé dehors ». Enthousiasme : feu dedans.
Il n’en faut pas beaucoup plus pour que mon imagination, ma tête et mon cœur travaillent ensemble à cet apparent paradoxe, dans le sens des TCC. Et je vois dans le « BO » le manque essentiel de feu intérieur, ou son extinction.
Non pas qu’il n’ait pas existé, il est d’ailleurs fortement question, dans nos articles de référence, de ces professionnels qui adorent leur boulot, ont la « niaque » ou sont « amoureux de leur job »…
Alors, ce feu intérieur, ne l’ont-ils pas ? Si, bien sûr. Ils l’avaient.
Mais insidieusement, la valeur qui l’entretient, le comburant essentiel de ce feu intérieur, leur manque : la reconnaissance. Extérieure puis intérieure. Les causes ?
- Un management qui (je cite) « ignore les émotions des individus au travail »? Sans doute.
- Un manque de reconnaissance des réussites et des compétences : surement.
- Un manque de reconnaissance par soi-même : encore plus surement.
- De « douche froide en douche froide » le feu s’est éteint.
L’individu se sent pris en défaut, ou a peur d’être pris en défaut dans toute l’étendue de sa vie. Car à force de n’être pas reconnu dans ce qu’on est, ou ce qu’on fait, on finit par douter de soi.
Parce que demander plus n’est pas le problème, le problème est de demander plus à quelqu’un qui supposera (ou s’entendra signifier) que réussir est indissociable d’une image positive de lui, au-delà même de ses compétences.
L’individu se sent pris en défaut, ou a peur d’être pris en défaut dans toute l’étendue de sa vie, là où c’est seulement le professionnel qui devrait donner du sens à son travail. Dans le toujours plus, toujours mieux, on lui renvoie pour tout signal que « plus est normal », quant à mieux il est passé sous silence ; il traduit donc cela par : insuffisant.
Le silence est mortel, là où la considération ou la reconnaissance sont porteuses d’enthousiasme. Reconnaissance pécuniaire et reconnaissance en terme de conditions de travail (facilitation, assistance, accessoires), d’appréciation portée (notation), de considération.
Et je ne parle même pas de dénigrement et autre harcèlement, ce qui malheureusement existe tant aussi –et accélère le processus si l’individu ne le détecte pas…
Tant que les employés, salariés, collaborateurs auront, pour une raison ou pour une autre, l’impression que leurs compétences perdent de leur valeurs, que leurs capacités ne sont plus à la hauteur, qu’ils ne sont plus dans la course, alors ils se déprécieront de l’intérieur. Et cette dépréciation aura lieu bien plus vite qu’on ne les dépréciera de l’extérieur, accompagnant, malgré eux, le processus de dégradation qui aboutit au « stress au travail et ses corollaires : Burn-Out (épuisement professionnel), bore-out (dépression par manque total de stimulus), la dépression, le suicide »
Redonner du sens à la réalité des compétences, reconnaître la valeur de celui qui œuvre, et surtout, par-dessus tout, redonner à chacun sa part de responsabilité à son exacte place, lui permettant de s’investir en sachant pourquoi, pour quoi, comment, en lui donnant les clés de son devenir.
On en voit, des professionnels qui multiplient les horaires de travail et sont envahis de travail SANS passer par la case BO…. Ceux-là, sont généralement des personnes dont la responsabilité de leur réussite est intacte, et qui nourrissent leur feu intérieur au carburant de leur investissement et de leur auto-reconnaissance : le succès qu’ils ont !
(1) Et le Burn-Out des mères de famille est reconnu aussi… sans d’ailleurs bénéficier d’un « arrêt de travail de mère de famille » !