Ce résultat titré part d’une enquête « mondiale » qui porte sur 12 500 salariés répartis dans 17 pays.
Avant même de répondre sur le fond, intéressons-nous à la forme.
Que ceux qui n’aiment pas les chiffres me pardonnent, mais il en va de la crédibilité de cette enquête : il n’y a que les Jeux Olympiques qui attribuent des titres aussi universels pour aussi peu de représentants en compétition à s’en partager les mérites.
12 500 salariés pour 17 pays font 735 salariés par pays étudié.
Selon l’INSEE, la France pour sa part comptait, fin 2014, 23 846 000 salariés, tous secteurs confondus. Donc l’étude porte sur 0,003 % des salariés français, et sur un pourcentage potentiellement équivalent des salariés des autres pays sélectionnés pour l’enquête.
Crédible, vous disiez ?
Pour mémoire, l’ONU décompte 197 pays dans le monde. L’étude en compte 17. Nous sommes donc sur une étude « mondiale » dont 91 % des pays existants sont écartés. Joli.
Ainsi, ces 0,003 % interrogés parmi les salariés français ont la lourde tâche de représenter statistiquement 0,5 % du « monde » salarié à eux tous seuls.
Et donc on s’insurge de ce que ces 0,0015 % de la population salariée mondiale contiendraient une moitié de salariés démotivés, et se trouverait en France.
C’est bien ça ?
On me rétorquera que les panels sont étudiés scrupuleusement pour fournir des données reflétant la position du plus grand nombre. Il n’en reste pas moins que plus un panel est restreint, moins il a de chance de refléter fidèlement la réalité cherchée.
54 % de 0,003 % de 0,5 % ! Édifiant !
Juge et partie
En fait, tout s’explique très rapidement : l’enquête mondiale en question – à télécharger ici– a été réalisée pour Steelcase, un vendeur d’installations bureautique, qui fustige dans son étude l’organisation structurelle des lieux de travail comme vecteur numéro 1 de la démotivation, l’open-space en tête.
À l’évidence, n’eut-il pas été non — productif de sonder les pays qui n’utiliseraient pas ces méthodes de travail ? Donc 17 pays seulement, qui seraient potentiellement en mesure d’enrichir le prochain CA annuel de SteelCase.
On se trouve à deux doigts d’un sérieux conflit d’intérêt… et d’un risque avéré d’une « erreur de parallaxe» dans les statistiques !
Un peu comme si je voulais vous alarmer en vous disant que 98 % des gens vont mal parce que c’est le cas de 98 % des gens que je reçois en consultation. Affirmé avec force, ce propos aurait de quoi inquiéter et faire déclarer l’état d’urgence psychologique. C’est juste un chiffre biaisé.
À tout prendre, le nom de Steelcase (la boite d’acier) appliqué aux bureaux où nos salariés devraient travailler avec une motivation… en acier, ce simple nom est déjà de nature à être démotivant.
La fameuse main d’acier du management, trop loin du gant de velours ?
D’autres records…
D’ailleurs, je souligne que la France a gagné depuis longtemps un autre championnat, bien triste aussi celui-là, qui est celui de la consommation d’antidépresseurs.
Sortons des chiffres ! Statuons sur le fond !
Il n’en reste pas moins vrai que, quels que soient les chiffres, personne ne devrait aller au travail à reculons ou sans plaisir. Et c’est pourtant parfois le cas.
Est-ce qu’il serait totalement absurde de faire le lien entre nos deux médailles nationales ?
Être pris en charge sans effort par des antidépresseurs permet donc de glisser petit à petit en dehors de toute auto-responsabilisation, tout sentiment de vivre sa vie en conscience.
Est-ce que cette démotivation critique dont nos compatriotes feraient preuve ne serait pas aussi en rapport avec une surconsommation de ces produits ? Les antidépresseurs, connus pour permettre aux personnes ainsi médicalisées de continuer à supporter une vie difficile, sont indispensables en première intention si le patient est particulièrement en danger émotionnel.
Ils ne devraient cependant jamais dépasser un certain terme, un temps au-delà duquel la prise de ces antidépresseurs signe l’abandon de toute tentative d’aller mieux de l’intérieur : les médicaments agissent à notre place sur le vécu de nos souffrances. La tendance grave est, à terme, de se couper de ses émotions, ou de ne jamais apprendre à les gérer convenablement, en restant toujours aussi fragile à ce qui se passe à l’extérieur de soi.
Être pris en charge sans effort par des antidépresseurs permet donc de glisser petit à petit en dehors de toute auto-responsabilisation, tout sentiment de vivre sa vie en conscience. Créer une dépendance médicamenteuse ne peut à l’évidence pas rendre autonome l’individu qui y est sujet, c’est juste une facilité qui empêche – ou évite — de se remettre en cause efficacement et régler une bonne fois les problèmes qui sont à l’origine de la prise médicamenteuse. D’où des traitements au long cours, comme un cercle vicieux.
D’où une démotivation puissante pour la vie elle-même.
Outre la zénitude chimique, d’autres méthodes sont cependant plus valorisables sur le long terme, connues et réputées de plus en plus largement :
- la Pleine Conscience,
- la Gratitude,
- la Vision Positive,
pour n’en citer que trois. C’est à dire des comportements choisis pour leur thérapeutique propre, avec une mise en acte : faire le nécessaire pour aller mieux en connaissance de cause.
Malheureusement, je ne suis pas convaincue que les personnes qui « sont aux anti-dépresseurs » depuis des années savent qu’elles peuvent se faire accompagner vers le retour à une vie épanouissante avec ce type de choix alternatifs.
Une même clé de la remotivation au travail, et de la vie remotivée… ! Faire de la lutte contre la démotivation d’une pierre deux coups, sur le même chemin thérapeutique que la suppression des antidépresseurs : voilà qui me parle !
Comme le disait justement un des commentateurs de l’article consacré à cette étude par France info (voir notes de bas de page), « il n’est pas certain du tout que les open-space et le manque de mobilité du matériel de travail, fustigés par l’étude, soient réellement en première ligne dans ces désordres exposés par le rapport établi « à charge »« .
Responsabiliser les salariés, leur donner le SENS de leur travail, et l’autonomie nécessaire pour faire aboutir ce qu’ils entreprennent sont plus sûrement le moyen de remotiver les troupes salariées. La reconnaissance de leurs réussites, de leur engagement – et qui dit reconnaissance parle de relations et de moyens financiers — voilà qui va, davantage que la modularité des bureaux, leur redonner le gout de ce qu’ils font et mettent en œuvre ! Réveiller le sens de l’accomplissement c’est rendre à chacun le potentiel qu’il a toujours eu en lui.
L’engagement reconnu,
l’enthousiasme valorisé,
le sens donné au travail,
les voilà, les clés de la motivation salariée !
La mise en rivalité des collaborateurs tuant tout travail d’équipe, les délais impossibles à tenir et les portefeuilles clientèle démesurés, les objectifs intenables, le refus de toute initiative autonome, l’opposition entre principe de réalité et objectifs exigés, cette liste non exhaustive de l’anti-management bien de chez nous est vraisemblablement une première approche du problème de la motivation.
L’enthousiasme — cette valeur intérieure qui porte chacun à vouloir atteindre le meilleur de lui-même —, la responsabilisation et le suivi du travail de bout en bout, l’engagement pour la satisfaction personnelle le sens de l’accomplissement, voici les réponses qu’il faudrait y apporter.
La France serait alors Championne du Monde de Management Positif.
On se donne rendez-vous pour un sondage après expérimentation ? – sur une plus grande échelle ? En attendant, cliquez sur le bouton ci-dessous pour en savoir plus sur cette étude mondiale.
(PDF – 28.4 Mo)
Et vous, pensez-vous que la France est vraiment la championne du monde de la démotivation au travail ? Partagez votre expérience personnelle dans les commentaires ci-dessous.