Être vivant et enthousiaste au quotidien, c’est possible. Choisir d’être joyeux même quand tout va à l’encontre de ce qu’on souhaite, c’est jouable. Et ça fait un bien fou. Récit vivanthousiaste du vendredi 11 mars :
Aujourd’hui, je vais à Paris, en train, présenter le Jeu Mille Mercis aux visiteurs du Salon Vivre Autrement. Je m’en fais une joie.
Malencontreusement, le trajet qui m’amène de la maison à Vernon où je prendrai le train est ralenti par des travaux tous neufs. Zut : je ne voudrais pas louper le départ ! C’est à 9 h 53… il est 9 h 44… bon, on y est presque… Ça va le faire… oui ? Non.. !… Si… ? Ouiiiiiiiii !
Je gare la voiture au bureau, et je cours. Il y a 800 mètres à parcourir, ou à courir tout court… À perdre haleine. Un jeune homme devant moi court dans la même direction, il a dû se faire la même remarque que moi : on va le louper. Mais on est deux, je me sens moins seule. Il est au moins 9 h 50, mais je ne prends pas le temps de consulter ma montre. Il reste 450 mètres… 300… 250… Allez, encore un effort, je respirerai plus tard. 150 mètres… La gare !…
J’entends les quatre notes, suivies de la voix suave de Madame SNCF qui annonce le départ imminent de mon train. Comment peut-elle annoncer suavement que je vais rater mon train ?! La petite voix idiote dans ma tête me dit que je peux arrêter de courir, c’est trop tard, je me fais du mal pour rien… Je ne l’écoute pas. Le prochain est dans une heure ! Impensable ! Non, je DOIS être dans celui-ci. Pas le temps de prendre un billet. Je traverse la gare comme une finale du 100 mètres des JO, je n’ose même pas imaginer à quoi je ressemble… et… le train est là, sur le quai. Si j’avais… juste le temps ???
…deux contrôleurs discutent tranquillement le bout de gras avec le chef de gare comme s’ils attendaient la nouvelle lune pour donner le départ…
Une double porte est ouverte, béante devant moi. Et là, j’ai une sensation de dédoublement de l’espace-temps : je suis dans une précipitation maximale, à essayer de rendre élastiques les trois secondes qui me permettront d’être dans la rame, et là, devant moi, deux contrôleurs discutent tranquillement le bout de gras avec le chef de gare comme s’ils attendaient la nouvelle lune pour donner le départ. Je saute dans le train, littéralement, d’un bond-de-la-mort-de-la-dernière-chance.
Et je les entends comme dans du coton :
— … Bon, ça se termine là, sa varicelle, il retourne à l’école lundi.
— Ah, ça va alors. Et ton petit quatrième, ça roule ?
— Oui, ça va bien. Apparemment, il l’a pas attrapée…
Moi, j’ai au moins attrapé le train. J’ai couru comme jamais.
La dernière fois que je me suis défoncée comme ça à la course, c’était en 6ème quand cet hurluberlu de Sébastien Grolourd m’avait piqué ma trousse et ne voulait pas me la rendre, c’est dire…
Le chef de gare regarde sa montre. 9 h 54 dans douze secondes. Il n’est de bonne compagnie qui ne se quitte, dit-on… ces messieurs se saluent cool, et les portes se ferment. Dire que si le contrôleur n’avait pas eu d’enfants, ou si son 3éme n’avait pas eu la varicelle, je me faisais Vernon-Paris à pied !
En haletant, une main sur mon cœur qui bat à toute vitesse pour l’empêcher de sortir de ma poitrine, je me refais en cinémascope toute l’histoire de sa vie de contrôleur, depuis la rencontre de sa merveilleuse épouse, jusqu’à cette conversation de quai de gare d’aujourd’hui, émerveillée de voir tout ce que l’Univers a ourdi de fil en aiguille, pour que ce matin je puisse être à bord du train, et je remercie intérieurement et l’Univers, et le petit qui a chopé la varicelle à l’école. C’est la moindre des choses.
C’est un billet de luxe, dites donc !
Au moment où les portes se ferment, je m’adresse au contrôleur :
— Je n’ai pas.. eu… le temps de… prendre un billet… Je glisse les mots comme je peux, entrecoupé de halètement, faut respirer pour vivre ! Voulez-vous.. m’en donner un… S’il vous plait ?
En fait, ce n’est pas prévu du tout. Il veut bien m’en vendre un, mais m’en donner un, non.
Ça a l’air évident comme ça, mais je vous assure, la différence est énorme :
— Ça fera 21 euros, s’il vous plait, me dit-il avec une amabilité délicieuse.
— Houlàààà ! C’est un billet de luxe, dites donc! Ne puis-je m’empêcher de dire, entre deux tentatives pour reprendre mon souffle une bonne fois
— C’est 7 euros de plus à bord du train, Madame. Explication succincte, du genre « ce n’est pas de ma faute, mais c’est comme ça« .
Aujourd’hui, et pour mon trajet, 7 euros, ça fait 50 % en plus du prix normal de mon billet !
Il sort mon précieux ticket de sa mini-imprimante de poche, et en échange, je lui donne 21 euros avec le sentiment de lui remettre les bijoux de la couronne.
Et là, avec un sourire, tandis que ma tripaille commence à s’accorder sur un rythme plus naturel (super hâte de m’asseoir pour reposer mes jambes qui ont bien travaillé), je m’entends lui dire avec bonne humeur :
— Bon, après tout, une inscription à la salle de sport ça coûte plus que ça, mm ?!
Et je souris intérieurement en allant m’asseoir.
C’est quelque chose comme ça, être vivanthousiaste du quotidien….