Attention à ne surtout pas confondre les bons et les mauvais livres !
Sans trop savoir ce que vous risquez, il faut tout de même prendre ce risque au sérieux. Semble-t-il.
Voyez plutôt :
En pleine navigation sur les réseaux sociaux, voici que je tombe sur un post d’une jeune auteure vous proposant de fêter Noël en offrant à vos proches ses deux livres à la couverture avenante, dont l’un arbore le bandeau rouge du prix qu’il a reçu, livres qu’elle présente avec la mention « feelgood ». Et la jeune autrice a pris une volée de bois vert avec ce premier commentaire laconique et définitif: « Mauvaise littérature, le feelgood, ça n’entraine pas à réfléchir« .
Visiblement, ce que lit ce monsieur ne l’entraîne pas à commenter gentiment, de son côté.
Y aurait-il vraiment des livres qui seraient « bons » et d’autres « mauvais » seulement de par leur appartenance à un genre ?
Qui a décidé qu’il fallait absolument qu’il fasse réflechir pour qu’un livre vaille la peine d’être lu ?
Pourquoi encore cette suprémacie du mental, quand il existe aussi des livres qui font aimer, d’autres qui font rire, d’autres encore qui font grandir, d’autres qui apaisent, font rêver, nourrissent des savoirs, éveillent l’imaginaire ou bousculent les émotions… ?
Renseignement pris auprès de ce critique sévère, il s’avère qu’il n’a jamais lu de « feelgood », mais « en a feuilleté plusieurs et lu quelques pages dans les rayons du supermarché« .
Le supermarché, ce lieu où on vous vend de tout en priorisant non la qualité mais le prix… comme pour le pain, qui rivalise parfois difficilement avec celui de votre boulanger préféré, même si c’est, techniquement, du pain : ce monsieur au jugement si sûr a-t-il, selon la même logique, arreté de manger du pain de boulanger parce qu’il n’aurait pas aimé celui du supermarché ?
Le supermarché, probablement pas l’endroit où on trouve la » littérature qui demande à réflechir » : n’étant pas des libraires, ils font venir un stock facile à vendre. Et ce qui se vendra le mieux reflète ce que vivent ou ce dont rêvent les gens qui l’achètent, tout simplement. Ou ce qu’ils peuvent trouver à acheter sur place, aussi. Où ce à quoi ils ont été ouverts, formés, et, en fin de compte, en supermarché, n’ont-ils pas été habitués à se contenter de ce qu’on leur propose parce que c’est sur place, et/ou parce que le prix est attirant ou facilitant ? Et combien d’enfants lisent dans le rayon en attendant le parent qui fait les courses, prenant ainsi l’habitude de privilègier les livres qu’on y trouve, parce que c’est un moment heureux ? C’est un repère, et c’est de la lecture !
Est-ce un crime de lire des livres qui se vendent en supermarché ? Non. Car il est une évidence qu’il ne faut surtout pas perdre de vue :
L’ESSENTIEL, quoi qu’on lise de préférence, c’est de LIRE.
Il existe des livres qui » ne font pas réfléchir « , c’est même pour cela qu’ils se vendent. ET ALORS ? Tout le monde n’a pas envie de lire la Critique de la raison pure d’Emmanuel Kant pendant ses vacances, si ?
Il y a de nombreux arguments qui ouvrent avec bonheur le champ de la lecture à tous les genres !
– L’ancienne enseignante que je suis sais trop comme il est parfois difficile de motiver les enfants ou les jeunes à la lecture, surtout lorsque ce n’est pas dans la culture familiale. Le fait qu’ils lisent ce qui leur plait est un progrès indéniable. Voilà qui les emmenera probablement un jour ou l’autre à lire un livre d’un autre style, d’une autre teneur, parce qu’ils auront la capacité et l’envie à ce moment-là de le faire.
Les marches d’un escalier commencent toujours par celle d’en bas, sinon on tombe. Et elles sont toutes d’égale importance ! (sinon on tombe aussi.)
– Les portes d’entrée de la lecture se sont un peu refermées lorsque le smartphone a fait son entrée dans la vie des enfants et des jeunes, comme des adultes. La facilité, le côté compulsif, sont des ennemis de la lecture, que la TV avait déja commencé à estourbir.
Michel Desmurget a écrit, lui, des livres qui font beaucoup réfléchir: TV Lobotomie est son premier titre, qui dit bien ce qu’il veut dire. Son second titre ? La fabrique du crétin digital. Le troisième nous rejoint : Faites les lire pour en finir avec le crétin digital. Alors LIRE,quoi que ce soit, c’est une bonne chose. C’est sans appel.
Lire est un acte qui engage !
APPRENDRE A LIRE, c’est triste ?
– Une petite Mathilde de 4 ans que j’avais dans ma classe mangeait son dessert un midi lorsqu’elle s’est levée de table sans demander pour aller vite écrire sur un papier qu’elle a apporté triomphalement à sa maman ensuite (c’est d’elle que je tiens cette histoire). Mathilde lui dit « regarde, j’ai écrit yaourt« . Et là, sur la feuille, écrite de mémoire, il y avait la marque du dessert en toutes lettres sans une faute « DESSERT D’AUTREFOIS ». Non, elle n’avait pas écrit yaourt, mais cette petite fille avait trouvé le goût de la lecture, du codage, du sens…
– Mon fils ainé, alors en CP, ne voyait pas l’interêt d’apprendre à lire, puisque tous les soirs je lisais des histoires à mes enfants, ça lui suffisait. Un soir, j’ai apporté dans sa chambre un petit roman sur un sujet dont il était friand. J’ai lu pour lui. Un chapitre, deux… il était visiblement mordu par l’histoire. Là, au milieu d’une page, j’ai posé le livre ouvert sur la table de nuit : bonne nuit ! Je crois qu’il a rallumé la lumière dès que j’ai eu le dos tourné.
Depuis, il lit tout ce qui lui tombe sous la main avec un bonheur qui ne s’est jamais démenti.
POURQUOI LIRE ?
Parce que lire stimule l’intelligence, le cerveau, oui, mais aussi l’imaginaire, les émotions, la connaissance, la découverte et la curiosité, la capacité de réalisation, l’envie d’implication dans le quotidien, le partage, … et la pensée : la pensée est l’outil premier de la capacité d’autonomie, de conscience, de respect, de partage, de relation. Il ne s’agit pas de la réflexion, mais bien de la pensée, ce qui est beaucoup plus large que la simple reflexion, outil du mental. Je pense donc je suis, disait Descartes. Il n’a pas dit » je reflechis donc je suis « . Et comme il pensait, il a dû bien choisir ses mots. Après tout, réflechir, c’est aussi à la portée du premier miroir venu.
QUOI LIRE ?
De tout ! Journal, magazine, recettes de cuisine, notices d’appareils, indications sur les emballages, affiches… et ensuite plaisir d’aborder les écrits de lecture, de la BD, prix Goncourt et Renaudot, et surtout tous les styles et tous les genres… qui plaisent au lecteur !
– Minimaliste ? Une page sur facebook s’intitule « objets de lecture » et propose des mots, des phrases, écrits sur toutes sortes de supports, et c’est déjà une stimulation cérébrale. La plaque du psy dont le nom est Aussoleil fait sourire si le cerveau a bien travaillé. Objectif atteint. La porte où est placardée une affiche » Poussez fort la porte et refermez-la derrière vous « , qui cotoie la plaque métallique » Tirez » fait sourire si le cerveau a bien travaillé : objectif atteint.
J’aime énormément lire au passage tous les petits mots manuscrits qu’on trouve ici ou là, sur les portes des maisons, les boites aux lettres… » N’oublie pas le pain « , » le chien est chez la voisine « , » pas de bruit, bébé dort enfin ! » … chacun raconte une histoire à inventer pour soi.
– Aprés une » grosse journée « , c’est plutôt agréable de lire un magazine ou un livre détendant, simple, joyeux, sans aucune attente… non ? Il y en a qui préférent savourer un verre de vin, d’autres marcher cinq minutes en forêt, et il y a les lecteurs, qui lisent peut-être à ce moment-là de la » littérature facile d’accès « . Pourquoi pas?
LE BONHEUR DE LIRE, ça s’apprend !
La récompense du plaisir de la lecture, c’est l’envie de lire encore. Voici l’engrenage qui compte. Le cercle vertueux.
LIS, LISONS, LISEZ, de tout -si vous avez plaisir à le lire. Car, comme disait Daniel Pennac dans son ouvrage Comme un roman, le droit imprescriptible du lecteur est de laisser tomber un livre qu’il n’aime pas.
Enfin, pour tordre le cou à une autre idée reçue, il n’y pas donc pas de « mauvais genre littéraire », un livre PEUT être bon ou mauvais -pas forcément de façon universel pour tous les lecteurs. Objectivement, ce sera davantage une question d’auteur et d’écriture, que de genre. Et là aussi, de nombreux critères peuvent infléchir ce verdict : style, cohérence, contenus,
…
Je pense à une maison d ‘édition qui énonce qu’elle publiera les manuscrits reçus qui sont « dignes d’être publiés ». Quelle suffisance de sa part, de s’ériger en juge définitif de la qualité du manuscrit ! Il n’y a pas d’universalité en la matière. Pour des éditeurs, il y a une ligne éditoriale. Pour des lecteurs, il y a des goûts, tout simplement. Les éditeurs seraient plus humbles s’ils réalisaient qu’aucun lecteur au monde ne se cantonne dans les lectures d’une seule maison d’édition !
A la Société des Auteurs De Normandie, la SADN, nous avons un comité de lecture, pour les admissions de sociétaires, dont les critères sont orientés volontairement sur des données assez objectives : orthographe et grammaire, un minimum de style, une cohérence du texte, notament, sont des critères incontournables. Les genres littéraires n’en sont pas un.
ENFIN, pour apporter un éclairage différent mais indispensable :
Hiérarchiser ?
Hierarchiser les livres et les genres littéraires, ou bien encore mettre à part les édités et les auto-édités, en les opposant, tant qu’à faire, cela revient tout simplement à hiérarchiser les lecteurs !
Pourquoi ? Pour quoi ? Quel interêt s’il y en a un ? N’est-ce pas plutôt contre-productif, dans une visée où ce qui compte, c’est LIRE, LIRE, LIRE ?
Lisons, donc. Partageons nos lectures, achetons, empruntons, rendons (c’est mieux), prêtons, offrons des livres et de la lecture !
Même « Mona Lisa », après tout.
Claire BUREL
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Merci pour cet article
Avec grand plaisir! C’est un sujet qui me tient à coeur.